PIER PAOLO PASOLINI Saint Paul:
CRITIQUE DE VALERIE BORY
Avec ce Saint Paul, d’après le projet de
Pier Paolo Pasolini pour un film qu’il n’a pas eu le temps de tourner avant de mourir, la
Compagnie Atelier C et le Théâtre Chantier interdit ont réussi un pari exigeant. Dans le chœur de l’église
Sainte-Claire de Vevey, une longue table est dressée. Il y a là les neuf lecteurs et protagonistes : narrateurs, persécuteurs, fidèles, et Paul, l’apôtre.
Qu’est-ce qui amena ce persécuteur fanatique des premiers chrétiens à se convertir et à fonder une nouvelle Eglise ? s’est demandé Pasolini, attiré et fasciné par les grandes figures absolues de la chrétienté. Dans son génie visionnaire, il a transposé la trajectoire de Paul dans les années 1940-70.
A la conversion de Saul, pharisien devenu chrétien,
Pasolini met en parallèle la « conversion » d’un officier nazi tortionnaire, passé à la Résistance.
Le chemin de Damas devient la route de Barcelone, Rome devient New York, Jérusalem devient Paris et Antioche devient Londres.
Mais les paroles prononcées par l’apôtre Paul dans cette lecture-spectacle sont strictement authentiques, comme le voulait Pasolini, et tirées de ses épîtres.
D’où une très vivante confrontation d’idées avec les comédiens-interlocuteurs réagissant aux discours de Paul : chefs de la première communauté chrétienne, juifs à convertir, mais aussi fidèles, détracteurs, parfois même judéo-chrétiens en désaccord avec lui.
Dans une mise en lecture bien dans l’esprit de
Pasolini, les joutes verbales prennent sur scène des échos contemporains.
Pasolini, en tant qu’artiste visionnaire, intuitif, aurait mis dans son film des nazis, des résistants, des communistes.
L’anachronisme était pour lui un moyen de faire jaillir un sens, sur fond de temporalités différentes.
Ce Saint Paul a captivé les spectateurs.
Domenico Carli, de la Cie Atelier C qui s’est déjà frotté à Pasolini plusieurs fois, avait connaissance de ce texte, en italien et en français.
Il rappelle, pour l’anecdote, que
Pier Paolo Pasolini, dont certaines œuvres ont pu choquer, figure parmi les cinéastes reconnus par le Vatican comme ambassadeurs artistiques, avec Roberto Rossellini, Vittorio De Sica, Luchino Visconti, Michelangelo Antonioni, Federico Fellini, Satyajit Ray ou encore Yasujro Ozu.
Pour lui, il n’est pas étonnant que Pasolini, après s’être penché sur l’Evangile selon saint Mathieu, aborde, dès 1968, l’œuvre de saint Paul. C’est dans la logique de recherche de la vérité, indissociable du scandale (du dévoilement), qui habitait le grand cinéaste, écrivain et poète.
V. B.
revue choisir (n° mars 2012).
http://www.choisir.ch/